La fédération des associations de protection de l'environnement de Polynésie française "Te Ora Naho" réaffirme son opposition au projet d'exploitation industrielle du phosphate résiduel envisagé à Makatea, cet atoll soulevé, dont la géologie est unique en Polynésie et qui mériterait un classement au patrimoine mondial.
Nous contestons surtout le choix d'un mode de développement inadapté à l'île et à sa taille, obsolète , qui a eu cours au siècle dernier et qui contredit un à un les critères de développement durable.
Le projet consiste en une "méga-excavation", progressive sur 25 ans, du haut plateau calcaire constituant l'île, sur une profondeur de 7 mètres et sur une superficie de 6 km2 (dans un premier temps) de l'île qui fait 24 km2 au total. C'est donc un quart de l'île que l'on va entailler, excaver, concasser... pour mettre à vif un plateau abaissé et sans doute instable (ce qui est fort à craindre au vu de la géologie de l'île), aride et désertique mais que l'on espère rendre fertile ensuite grâce à des couches de compost.
1 Une solution contestée par les scientifiques
Nous les citons ici:
"C'est un leurre d'imaginer qu'une fois les sols dégagés pour exploiter le phosphate en profondeur on pourra reconstituer des habitats terrestres à l'identique. Si cela était possible, les compagnies minières l'auraient fait à Nauru ou en Nouvelle-Calédonie. "(Alice CIBOIS, chargée de recherche au Muséum d’Histoire Naturelle de la Ville de Genève et Jean-Claude THIBAULT membre-correspondant du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, deux scientifiques qui connaissent bien Makatea).
"L'argumentaire de leur projet repose sur la proposition fantaisiste de créer un sol arable en mélangeant tout simplement une roche récifale concassée avec du compost tiré d'une maigre végétation(...). Je vous laisse imaginer (et calculer!) les millions de m3 de compost à réunir pour épandre et mélanger ne serait-ce qu'une couche de 5 cm de compost sur l'ensemble de la surface...Tous ces efforts herculéens se révèleraient rapidement vains car dans ce contexte tropical chaud et humide , la durée de vie d'un compost n'excède pas quelques semaines, quelques mois tout au plus.C'est en effet en siècles voire en milliers d'années que se décompte la constitution d'un sol présentant des qualités agrologiques acceptables. Il y aurait de quoi faire sourire les agronomes du monde entier si cette supercherie restait sans conséquences humaines et environnementales graves."
(Denis LOUBRY, docteur es sciences en biologie végétale tropicale, Université Pierre et Marie Curie, ingénieur en environnement tropical, spécialisé dans la restauration des milieux dégradés).
2 Les propositions des associations pour un développement durable
D'autres voies de développement de cette île, plus en harmonie avec sa nature et sa taille, ont été proposées au gouvernement par l' association Fatu Fenua no Makatea et d'autres associations ainsi que par la fédération, sans passer par sa destruction partielle, ni par une activité minière non durable par essence, qui promet aux habitants et aux propriétaires une restitution (non prouvée et non réalisée sur aucun site de la planète à ce jour et même contredite par des spécialistes scientifiques) de terres cultivables, à l'issue des extractions.
Des pistes de développement d'activités plus en phase avec notre siècle (laboratoires de recherche, énergies renouvelables...etc) sont également à rechercher au vu des spécificités de l'île.
Randonnée éco-touristique à Makatea
3 Une méthodologie gouvernementale mal comprise
Le gouvernement et la société Avenir Makatea SA se réfugient derrière une décision de la majorité de la centaine d' habitants actuels de Makatea qui sera sollicitée prochainement au travers d'une enquête publique, voire d'une autre forme de consultation (référendum? consensus?...).
La démarche du gouvernement, au vu de l'enjeu qui est la destruction pure et simple d'une bonne partie de l'île, ne nous parait pas très responsable.
Est-il légitime de laisser le devenir physique d'une île entière de Polynésie française (il ne s'agit pas de la construction d'un rond-point là !) entre les mains d'une petite majorité de sa centaine d'habitants ? Les propriétaires fonciers qui ne résident pas sur l'île ne partagent pas cet avis et ils sont des centaines en propriété indivise.
Si seul l'avis des habitants actuels suffisait , ces derniers sont ils suffisamment informés pour prendre une décision en toute connaissance des risques et des conséquences ?
On leur fait miroiter une "réhabilitation" garantie sur parole mais contredite scientifiquement...Sont ils au courant? Quelle terre laisseront-ils à leurs enfants? Ils pensent qu'elle sera plus basse certes, mais meilleure et fertile.
Oui, les trous de l'ancienne exploitation du CFPO sont un handicap mais savent-ils que cette proposition de poursuivre l'extraction va empirer la situation?
4 - Un futur qui risque d'être pire qu'aujourd'hui
Quelle île en héritage sans son eau potable, son avifaune et ses espèces végétales endémiques?
Souhaitons-nous sacrifier une bonne partie de l' île pour quelques emplois d'extracteurs miniers (avec les risques sanitaires induits) et des revenus salariaux pour quelques personnes , pendant 25 ans ?
Par ailleurs, rien ne garantit que l'extraction une fois démarrée se limitera aux 6 km2 prévus car on connait la chanson à la fin du chantier :" poursuivre pour éviter une crise économique, le chômage, la baisse de revenus, l'abandon et la désolation qui se sont produits en 1966 au départ du CFPO..."
L'exemple de Nauru est pourtant patent: pas de terres arables retrouvées après l'exploitation, la faillite économique de l'île aujourd'hui et, pire, les dirigeants de Nauru n'ont pas trouvé d'autre solution que "la fuite en avant" et préconisent de continuer à creuser plus en profondeur...
Ile de Nauru vue du ciel
La photo en "une" représente l'exploitation de phosphates à Nauru
5- En conclusion, un nouvel idéal pour Makatea
On comprend aisément que le choix des habitants de Makatea et surtout des jeunes à la recherche d'activités et de revenus puisse se porter sur ce projet d'exploitation minière, puisque c'est la seule perche qui leur est tendue aujourd'hui et qu'aucun autre projet ,ni initiatives concrètes de désenclavement et de développement de leur île ne leur sont proposés par nos gouvernants.
Même le quai, pièce maîtresse du désenclavement, qui devait être refait, après une étude financée en 2012 par l'Etat (en grande partie) et le Pays, n'a toujours pas été construit. Doit–on attendre un investisseur extérieur, fut-il australien, pour faire un quai en Polynésie française ?
Makatea est l'île oubliée!
Absente de tous les projets de développement et de désenclavement qui se sont succédés depuis l'arrêt de l'exploitation, quels que soient les gouvernements et leur idéologie,Makatea serait-elle maudite ?
Des habitants veulent croire que non : c'est un joyau inestimable qui mérite d’être découvert, c'est résolument un atout du point de vue écologique et touristique.
Ils fondent leur espoir sur un développement futur qui sera enfin harmonieux et soucieux du plus grand nombre, respectueux des valeurs ancestrales de partage et d'unité.
Cet idéal est louable et réalisable, il mérite d'être entendu et respecté.
Eau douce souterraine de Makatea : une géologie unique