Recommandations de la Fédération des Associations de Protection de l’Environnement (FAPE) – Te Ora Naho sur le projet de grande Aire Marine Gérée en Polynésie française
Forum du cluster maritime « Espaces maritimes : développement et préservation » - 19/20 octobre 2017
Le gouvernement de Polynésie française a annoncé en 2016 la création future d’une grande Aire Marine Gérée (AMG), baptisée Tai Nui Atea, sur toute la ZEE de Polynésie française, soit sur environ 5 millions de km². Ce projet ambitieux est d’une importance majeure pour la préservation des ressources marines en Polynésie française et le développement d’une économie bleue durable. Nous, associations environnementales et culturelles de Polynésie française regroupées au sein de la FAPE – Te Ora Naho, nous portons volontaires pour participer à la définition de cette grande AMG, en partageant nos observations et nos recommandations, dans le respect des compétences du Pays. Ces recommandations seront présentées à l’occasion de la table ronde sur le projet de grande AMG organisée par le cluster maritime de Polynésie française le 19 octobre 2017.
Observations :
- La Polynésie française compte plus de 50 sites protégés dans ses eaux sur 0,05% de sa surface maritime ; la plus ancienne réserve marine a été créée en 1971. La réserve de biosphère de Fakarava, avec 19 000 km² de protection, est la plus grande réserve de biosphère de France. La Polynésie française est également le plus grand sanctuaire de mammifère marin et de requin au monde.
- Le Pays a su maintenir une pêche hauturière d’une faible intensité avec seulement 6 000 tonnes de prélèvement par an. Les flottilles étrangères ne peuvent pas pêcher dans les eaux polynésiennes depuis l’année 2000 et les senneurs sont interdits. La pêche hauturière n’est développée actuellement que sur 40% de la ZEE polynésienne environ, principalement autour de Tahiti, laissant une zone protégée de facto d’environ 3 millions de km².
- Le gouvernement de Polynésie française a annoncé en novembre 2016 à Hawaii la création future d’une Aire Marine Gérée (AMG), nommée Tai Nui Atea sur toute la ZEE de Polynésie française. L’objectif affiché de ce projet ambitieux est de permettre de « préserver une zone maritime aussi vaste que l’Europe, en interdisant des techniques de pêche irresponsables et en protégeant le trésor de biodiversité qu’elle contient ». En septembre 2017 au Chili, le gouvernement a annoncé que l’AMG serait finalisée en 2018 et qu’elle contiendrait des zones de pêche côtière et des réserves intégrales.
- Malgré ces efforts du gouvernement de Polynésie française, beaucoup de lagons du Pays se dégradent rapidement à cause de la surpêche, la sédimentation et la pollution, principalement dans les zones fortement peuplées. Par ailleurs, dans le Pacifique Sud, les ressources en thonidés sont menacées par une augmentation considérable de l’effort de pêche depuis 20 ans. Le thon obèse a perdu 84% de sa population naturelle, le thon à nageoire jaune 62% et le germon 60%. La commission thonière WCPFC recommande de réduire l’effort de pêche sur ces espèces.
- Par ailleurs, le schéma directeur de la pêche hauturière de la Polynésie française prévoit de doubler les prélèvements issus de la pêche thonière d’ici 10 ans et d’étendre la pêche industrielle aux zones encore inexploitées de la ZEE. Les navires de pêche construits en Polynésie française peuvent bénéficier d’une défiscalisation de 70%. Cinq projets d’investissement, pour un montant total estimé à 782 millions CFP, ont été agréés au régime des investissements cette année. La chambre territoriale des comptes rappelait pourtant en 2015 que le Pays a investi 9 milliards CFP d’aides publiques pour le développement de la pêche depuis dix ans sans que la filière n’ait pu trouver un équilibre financier.
- Enfin, deux projets de grande Aire Marine Protégée ont été annoncés par le gouvernement de Polynésie française à plusieurs reprises, notamment au sommet IMPAC3 en 2013 à Ajaccio et lors du congrès mondial des parcs de l’UICN en 2014 à Sydney, l’une de 700 000 km² aux Marquises et l’autre de 1 million de km² aux Australes. Ces projets ont fait l’objet d’une large documentation scientifique et de nombreuses consultations de la population locale.
Recommandations :
- Nous encourageons les efforts réalisés en matière de protection des espèces emblématiques marines et de valorisation du sanctuaire marin de baleines et de requins, qui concourent au rayonnement international de la destination écotouristique de la Polynésie française. Nous recommandons de pérenniser la protection de toutes les espèces de requins, le moratoire de 10 ans arrivant à échéance en 2022.
- Nous encourageons les efforts entrepris dans les zones lagonnaires, et en particulier les initiatives nouvelles de rahui qui marrie modernité et tradition pour une gestion durable des ressources. Nous recommandons de développer ce genre d’initiatives sur toutes les communes de Polynésie française en partenariat avec les élus et la société civile.
- Nous proposons d’interdire la chasse sous-marine de nuit dans les lagons et de réglementer la pêche au filet.
- Nous recommandons d’interdire la pratique du shark et ray feeding en Polynésie française.
- Nous préconisons de maintenir indéfiniment l’interdiction des flottilles étrangères et des senneurs dans la ZEE polynésienne.
- Nous recommandons que l’état des stocks de thon à l’échelle du Pacifique soit mieux pris en compte dans les stratégies de développement de la pêche hauturière en Polynésie française, pour que le développement proposé soit durable et n’entrave pas la pêche côtière et la sécurité alimentaire de la population des archipels.
- Nous préconisons de suivre davantage les prélèvements issus de la pêche artisanale et de la pêche pour l’autoconsommation, afin de rapporter aux mieux aux instances de gestion l’importance de ces types de pêche dans l’économie polynésienne.
- Nous recommandons qu'un partage équitable des eaux de la ZEE soit établi, avec des zones de pêche côtière d’au moins 20 milles autour de chaque île réservées aux navires de moins de 10m, et jusqu’à 50 milles lorsque cela est demandé par les populations locales.
- Nous recommandons qu’au moins 30% des eaux polynésiennes soit strictement protégées d’ici 2030, tel que le recommande l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Les zones de protection devraient être délimitées dans les zones lagonaires aussi bien qu’au large, en particulier dans les zones de reproduction, les corridors biologique, et les zones non encore exploitées. Elles devraient également être définies en cohérence avec les autres grandes AMP du Pacifique, et notamment à Rapa Nui, Pitcairn, et Cook, pour créer des corridors de protection à l’échelle du Pacifique.
- Nous soutenons les deux projets de grandes Aires Marines Protégées annoncés aux Marquises et aux Australes, et nous recommandons que ces projets soient intégrés à la grande Aire Marine Gérée, même si les tailles des surfaces proposées devaient être réduites à la baisse.
- Aux Marquises, pour limiter les tensions entre les pêcheurs locaux et les pêcheurs hauturiers, nous proposons la création d’un zonage de compromis comprenant : 1) une zone de pêche côtière de 50 milles marins autour des îles ; 2) une zone de réserve intégrale au large d’au moins 200 000km² (soit 30% de la surface des Marquises), en particulier à l’est des îles, dans la zone prioritaire de reproduction du thon obèse menacé ; et 3) une zone pour la pêche industrielle sur le reste des eaux de l’archipel (soit sur environ 60% de la surface).
- Nous recommandons de réduire, voire d’interdire à terme les subventions publiques à la pêche, qui contribuent à la surcapacité des flottes et à la surpêche, conformément aux recommandations de l’ONU dans le cadre des Objectifs du développement durable (ODD n°14-6).
- Nous recommandons la protection des habitats et des zones de nidification des tortues marines et des oiseaux marins.