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Une enquête indépendante sur les essais nucléaires atmosphériques réalisés de 1966 à 1974 en Polynésie française, pose question sur les données de contamination retenues jusqu’à présent par le CEA.
Elles auraient été largement sous-évaluées.
Les niveaux de contamination auraient été plus forts et le nombre de personnes exposées beaucoup plus important. C’est ce que nous a dévoilé l’enquête du livre intitulé TOXIQUE.
Suite à cette parution et à la demande du président de la Polynésie française, une table ronde sera organisée au plus haut sommet de l’Etat au mois de juin à Paris.
Les effets sanitaires et les conditions d’indemnisation des victimes méritent d’être prioritairement remis à plat à la lumière de ces nouvelles analyses. Si nos gouvernants locaux sont soucieux des conséquences sur l’économie polynésienne et sur la société polynésienne, il ne faut pas oublier d’y inclure l’héritage toxique environnemental des réservoirs de stockage de radioactivité que constituent Moruroa et Fangataufa, suite aux essais souterrains.
UNE PUBLICATION CHOC
Une enquête sur les essais nucléaires en Polynésie française a été réalisé par le média d’investigation DISCLOSE . Pendant deux ans, le journaliste Tomas Statius et le chercheur spécialiste du nucléaire militaire à l’université de Princeton Sébastien Philippe ont analysé 2000 documents d’archives militaires déclassifiés en 2013, avec le support de l’ONG Interprt spécialisée dans les écocides, dans un livre intitulé TOXIQUE.
La communication dans les médias autour du livre a permis de relancer le débat sur le sujet, localement, et plus remarquable, jusqu’au plus haut niveau national. Davantage de citoyens français sont donc désormais au courant des dégâts de la bombe.
CONSEQUENCES SANITAIRES
Ceux qui répondent que cette enquête n’apporte rien de nouveau n’ont sans doute pas lu le livre.
Certaines informations ont été portées à la connaissance de la population sur les trajectoires de déplacement des nuages radioactifs après chaque essai atmosphérique (46 essais de 1966 à 1974), dans des rapports publiés en 2006 et en 2013, après la déclassification de certaines archives (contamination de Mangareva dès le 1er essai « Aldébaran » en 1966 et par quatre autres essais par la suite… puis de Tahiti lors de l’essai « Centaure » en 1974…etc). Cependant, ces informations n’ont fait l’objet d’aucune analyse neutre et approfondie. Le livre TOXIQUE répond à cet objectif et apporte, entre autres informations, les nouveaux éléments suivants :
1. Des niveaux de contamination sous-évalués :
Les niveaux de radio-activité retenus par le CEA jusqu’ici, pour chacune des îles et chacun des essais, et les doses auxquelles les populations civiles ont été exposées (en contamination externe- c’est-à-dire par l’exposition aux rayonnements ; et en contamination interne, après ingestion d’eau, d’aliments ou après inhalation…) auraient été minimisées « du fait d’importantes omissions dans les calculs du CEA », d’après les vérifications et modélisations scientifiques associées à l’enquête.
En réponse, les scientifiques du CEA ont affirmé dans un communiqué que leurs conclusions ont été « validées [DT1] [DT2] » par l’AIEA en 2006 (Agence Internationale de l’Energie Atomique). Selon le livre TOXIQUE, ce rapport « organisé par l’AIEA » est resté confidentiel et ne se réfère qu’à la validation de la méthodologie de calcul des doses et non à une quelconque validation des résultats, ni des données-source, auxquelles ces quelques experts n’ont pas eu accès car classées à cette date secret défense.
« L’objectif n’était pas de réaliser une nouvelle étude in situ détaillée ou un nouveau calcul des doses à partir des données présentées » détaillent les experts de l’AIEA. « Nous devions regarder s’il n’y avait pas d’énormes erreurs dans l’étude française [DT3] » dixit le livre Toxique. La méthode de calcul des doses de contamination (rapport AIEA) :
2. Un impact géographique plus large :
Les zones impactées par le nuage radioactif, au-delà des Tuamotu (dont Reao, Pukarua, Tureia), des Gambier et de quelques zones de la presqu’île et de la côte Est de Tahiti comme indiquées jusqu’à présent par le CEA, concerneraient toute l’île de Tahiti, Moorea et les Iles Sous le Vent. Ce qui représenterait un potentiel de 110 000 habitants.
3. Un cluster de cancers :
Il y a bien un « cluster » de cancers, cancers thyroïdiens en particulier, constaté après plusieurs décennies, dans les îles soumises aux retombées des tirs aérien et surtout aux Gambier. Un médecin militaire les attribue aux rayonnements ionisants des essais : « La présence d’un cluster de cancers thyroïdiens focalisés au niveau des îles soumises à des retombées lors des tirs aériens et notamment aux Gambier, laisse peu de doute sur le rôle des rayonnements ionisants et notamment l’exposition thyroidienne à l’iode radioactif, dans la survenue de cet excès de cancers » (Extrait de la note rédigée par un médecin militaire en Février 2020 publié dans le livre). L’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) ne confirme, ni n’infirme cette cause. La possible survenance de maladies transmissibles génétiquement dites maladies trans-générationnelles n’a pas non plus été prise en considération, ni fait l’objet d’études scientifiques.
De plus, il est divulgué que l’INSERM n’aurait pas été en mesure de mener d’enquête épidémiologique sur une base scientifique solide, en raison de niveaux de statistiques de population trop faibles. Autre justification, il aurait fallu disposer d’un état des lieux sanitaire des populations qui aurait du être réalisé avant le début des essais, c’est-à-dire avant 1966, ce qui n’a pas été fait. Cette lacune est d’autant plus regrettable et inacceptable que les autorités de l’Etat avaient été informées par les américains et les anglais des dangers issus de leurs propres expériences nucléaires atmosphériques sur la santé des populations (source Livre Toxique). D’ailleurs, c’est en Aout 1963 que le traité de Moscou interdisant « les essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace extra-atmosphérique et sous l'eau » a été conclu à l’initiative des américains, des anglais et des russes. Plus de cent Etats y ont adhéré mais pas la France.
4. Une indemnisation des victimes lente et laborieuse :
Le nombre de victimes polynésiennes indemnisées reste dérisoire eu égard aux 700 nouveaux cancers déclarés chaque année en Polynésie française (chiffres de la CPS, tous cancers confondus, c’est à dire non limités aux cancers radio-induits, potentiellement imputables aux essais). De 2010 à 2017, seuls 9 dossiers ont été admis par le Comité d’Indemnisation des Victimes des Essais Nucléaires (CIVEN). En dix ans de 2010 à 2020, sur les 416 demandes émanant de résidents polynésiens, seules 169 ont été admises (197 si on ajoute celles qui ont dû faire l’objet d’un recours en justice). « Quel sens y a-t-il à créer un comité d’indemnisation s’il n’indemnise personne ou presque ? » questionnent les auteurs du livre Toxique.
Chiffres extraits du rapport 2020 du CIVEN :
Ces nouveaux éléments méritent qu’une enquête soit confiée à des experts indépendants (autres que le CEA et l’armée) pour établir la vérité sur les retombées des essais atmosphérique, avec un accès à tous les documents y compris ceux qui n’ont pas été déclassifiés. Le processus d’indemnisation des victimes est à revoir en conséquence et doit être d’ores et déjà rendu plus simple et plus efficace.
CONSEQUENCES ENVIRONNEMENTALES
L'impact sur la santé des populations et sur la survenance de possibles maladies trans- générationnelles est bien évidemment un sujet primordial. Il ne faut pas oublier néanmoins les conséquences environnementales.
La persistance des risques pour l’avenir, résultant notamment des essais-souterrains, nous préoccupe car elle concerne les générations futures. Ce sont les risques de contamination radiologique en cas de défaillance géomécanique de Moruroa (notamment sur les écosystèmes marins, la chaine alimentaire et les populations au final), les risques de contamination radiologique issue des puits de stockage, de déchets divers...etc
Notre fédération Te Ora Naho a demandé à plusieurs reprises, dans le cadre de la Délégation de Suivi des Conséquences des Essais Nucléaires (DSCEN) que ces risques soient sérieusement étudiés et communiqués.
Que la ministre des armées nous dise que, grâce au dispositif de surveillance Telsite 2, la population sera prévenue à temps de phénomènes anormaux à Moruroa ne nous rassure pas sur les dégâts possibles d’un effondrement de l’atoll par exemple et sur ce qu’il adviendra de la radioactivité enfouie…
Par ailleurs, la dépollution de tous les sites mentionnés dans le rapport “Visite de Moruroa” de la DSCEN (Barrillot, B. 2010) n’est pas achevée et l’incertitude sur la destination finale de certains déchets contaminés, récupérés à Hao en particulier, n’est pas levée.
Ainsi, restent à traiter :
Les déchets radioactifs immergés des deux passes de Hao et Moruroa ;
Le plutonium résiduel dans le lagon face à l’installation Meknès...
Le sort de ces réservoirs de pollution hautement dangereuse, que représentent les atolls de Moruroa et de Fangataufa, n’est-il pas le plus gros enjeu environnemental de Polynésie française ? Des solutions de dépollution sont-elles réellement envisageables ? Si ce n'était pas le cas, il nous parait indispensable que les experts et les autorités compétentes nous le disent clairement, qu’ils nous expliquent quels sont les risques encourus pour les écosystèmes et les populations et quelles sont les dispositions prévues.
Nous avons demandé au Président de la Polynésie française que le volet des risques environnementaux pour l’avenir soit intégré à l’agenda de cette table ronde sur les essais nucléaires .
Il nous parait nécessaire de mandater préalablement des experts scientifiques indépendants capables de faire la lumière sur ces rapports, enquêtes et informations contradictoires, en leur donnant accès à tous les documents non déclassifiés.
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